dimanche 23 août 2015

Itinéraire d'un ciné-fils



1992

RéalisateursPierre-André BoutangDominique Rabourdin

Notice SC
Notice Imdb

Vu sur le net


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Cela faisait très longtemps que je n'avais pas vu ce documentaire. La première fois, je n'avais pas vu autant de films qu'aujourd'hui bien entendu et il y a sûrement au moins un quart de ce à quoi Serge Daney fait allusion qui avait dû m'échapper.

Maintenant, tout l'entretien m'apparaît limpide. Je me sens relativement capable de me situer dans cet espace-temps cinéphile que Daney esquisse ici. Disons que je comprends à peu près ce qu'il a vécu, les raisons qui l'ont poussé à écrire ce qu'il a écrit, jusqu'à même cette radicalité dont je m'estime totalement étranger. Mais je la vois, il l'exprime formidablement bien.

D'ailleurs, je ne sais si l'intérêt de ce documentaire ne réside pas plus dans la façon dont Serge Daney conduit son récit, son auto-analyse ou dans l'extrême effacement de la réalisation. Un peu des deux, mon neveu! L'objet visuel n'a pas grand d'intérêt, si ce n'est qu'il permet d'abord à Daney de s'exprimer avec une grande liberté (peu de coupes, un temps apparemment limité à la volonté de Daney pour qu'il aille au bout de ses arguments) et au spectateur de lire sur son visage la manifestation de sa pensée par quelques mouvements d'humeur disons.

Je disais donc que je comprenais cette cinéphilie, extrêmement politique, parfois radicale, où l'esthétique et la morale font un drôle de ménage, presque constitutionnel si vous me permettez ce qualificatif. En tout cas, c'est ce qu'il semble dire. Je comprends mais je ne partage pas le même type de cinéphilie. Il y a fort à parier que Serge Daney aurait ignoré totalement un olibrius comme moi, tant l'axiome art/morale constitue son identité même alors qu'il peut me faire fuir.

Alors, il est aussi possible qu'on ne mette pas tout à fait le même sens au terme "morale". A peine ai-je écrit cette phrase que j'en décèle l'absurdité, voire la bêtise soyons honnête. C'est sûrement parce que je n'ai pas assez ressassé le sujet en moi pour en tracer des contours nets. Quand il évoque la réaction de Rivette devant un plan de "Kapo" pour illustrer cet aspect immoral que peut avoir le cinéma, je suis d'abord porté à avoir le même jugement sur l'esthétisme doloriste d'un événement en soi tellement insupportable, mais peu à peu se diffuse en moi l'envie de comprendre la mise en scène de Pontecorvo, d'essayer de voir s'il n'y a pas une raison qui m'échappe, qui justifie, une pensée esthétique, un symbole qui n'a strictement rien d'immoral mais, parce qu'il ne m'est pas accessible m'apparaît comme immoral.

Bref la radicalité de Daney et de Rivette semble alors trop agressive. Histoire de contexte sans aucun doute. Ils sont les enfants de cette guerre. Je fais partie de ceux qui bénéficient du recul d'une génération. Eux n'ont pas cette opportunité. Ils ont pris le génocide juif et tzigane dans la trogne. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts (Arendt notamment a participé à ce flux de réflexions avec le temps) et on commence à comprendre que le génocide n'est pas un accident de l'humanité, mais que c'est un fait réel, qui s'explique, qui peut donc recommencer, comme la Yougoslavie ou le Rwanda l'ont démontré. L'horreur n'est pas irrationnelle, ni intouchable malheureusement.

A la fin, quand il s'agit pour lui de se projeter dans l'avenir du cinéma et de la télé, la tâche est d'autant plus ardue qu'il n'a pas idée de la révolution internet. Sur le plan politique, on le sent légèrement désabusé, notamment sur sa propre évolution politique. Cela ne l'empêche pas de continuer à avoir un discours radical très schématique et donc grossièrement bancal de type "tous Pétainistes!" qui finit par altérer l'admiration que la finesse apparente de ses réflexions avait pu susciter jusque-là.

Reste que Serge Daney comme d'autres, malgré l'espèce de dogme par moments ressemblant presque à un intégrisme qui lui tient lieu de véhicule intellectuel, pose un regard aujourd'hui encore très intéressant sur l'histoire du cinéma d'après-guerre et ce documentaire très sobre le rend parfaitement lisible.

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